En ce jour du 4 juillet, le soleil est à son zénith sur Bucheon, ville situé au sud-ouest de Séoul et qui vit au rythme de la bande dessinée. Chaque année y a lieu le festival de bande dessinée. Un complexe de bâtiments abrite des ateliers de dessinateur, et sur un autre site se trouve le musée du manhwa. Il est 13 heures et nous avons rendez-vous avec Choi Kyu-sok, jeune auteur de 37 ans qui jouit d’une grande notoriété. Nous nous rendons devant la porte de son atelier, nous toquons.... Personne. Un bref appel téléphonique nous indique qu’il est sur le point d’arriver. C’est vrai qu’il est tôt. Nous bousculons quelque peu les habitudes de cet « oiseau de nuit ». En effet, voici à quoi ressemble sa journée type. Il se lève à 14h. Il mange. Joue avec son enfant. Marié en 2010, il est père d’un petit garçon de 18 mois. Vers 16h, il se rend dans son atelier pour y travailler jusqu’à 5 heures du matin. Le travail terminé, il rentre se coucher. Il aime travailler la nuit, il se concentre mieux. En général, lorsqu’il dessine, il reste dans son atelier, car il a besoin de son ordinateur. Mais quand il écrit, il lui arrive d’aller tout simplement dans des cafés.
Le voilà qui vient à notre rencontre, les cheveux courts légèrement ondulés et encore mouillés par la douche dont il vient sans doute tout juste de sortir. Il est très grand, mince et plutôt bel homme. Son visage est assez fermé, il n’esquisse que rarement un sourire. Il semble toujours à l’affût, le regard vif, perçant, comme jaugeant sans cesse le monde qui l’entoure. La voix est assez haute. Nous commandons de quoi manger, puis, nous nous dirigeons sur la terrasse afin de fumer. Nous sommes seul, il ne dit rien, j’écourte la pause cigarette. Le silence me semble trop pesant. Le repas finit par délier les langues. Nous engageons l’entretien.
Si Choi Kyu-sok est une « vedette » ici en Corée, il est loin d’être un inconnu en France. Lorsqu’il sort en 2003 diplômé de l’université, les éditions papier sont en crise et la révolution du format web n’est pas encore en marche. Après un an de « disette professionnelle » il retourne dans sa région natale. Il y enseigne le manhwa auprès de lycéens qui se destinent à intégrer l’université en section bande dessinée. Cette année lui offre l’opportunité de réaliser « Nouilles Tchajang » qui paraît la même année aux éditions Happy Comic Works. En 2005, deux ans plus tard, on le découvre dans les pays francophones. Les éditions Kana (éditeur belge) publient une traduction de cet ouvrage. Ce récit est adapté d’un roman coréen de Ahn Do-hyun. Réalisé conjointement avec Byun Ki-hyun, il relate l’histoire d’un lycéen qui choisit de quitter l’école et se fait embaucher dans un restaurant en tant que commis. Le jeune homme va faire connaissance des personnages qui mettent un peu de couleurs dans le quartier : le cuisinier, ancien militaire, le coiffeur, bavard intarissable… Il connaîtra également ses premiers émois. Cette période, si elle représente pour le jeune personnage une découverte du monde extérieur, lui permet également d’entreprendre un travail introspectif sur la dynamique en jeu dans la cellule familiale qu’il a choisi de quitter.
Choi Kyu-sok, conjointement à son travail d’enseignant, renoue avec le manhwa par le biais du magazine hebdomadaire généraliste « Gyeonghyang » qui lui commande quatre pages de bande dessinée par semaine. Ainsi naissent cinquante-quatre nouvelles que publie Casterman en France en 2006 sous le titre « Le Marécage ». Casterman publie également son recueil de nouvelles « L’Amour est une protéine ». Il réalise cet ouvrage alors qu’il est encore étudiant. Les six nouvelles qu’il contient ont toutes un style graphique très différent qui témoignent de ses capacités de dessinateur. De cet ensemble hétéroclite se dégage un tableau sombre de la société où la manipulation, la cruauté et l’ignorance font la force de ceux qui en usent.
Poser un regard sur l’animal social est sa préoccupation depuis ses débuts. Il travaille actuellement à la réalisation d’un webtoon, « le Poinçon ». C’est l’histoire d’un homme employé par une grande chaîne de supermarché qui prend le parti de se battre et décide de créer un syndicat. On navigue ici dans les eaux de la métaphore sociale où l’entreprise est structurée comme l’est la société, avec les nantis, les différences de traitement des individus, toutes les inégalités qui subsistent dans le monde extérieur, une fois quitté le lieu de travail. Il dit attacher une importance particulière à la qualité du scénario, mais le fait de réaliser un projet sur le Web plutôt que sur support papier n’a pas vraiment d’influence sur sa façon de travailler. Ce qui doit cependant l’influencer dans ses choix vient probablement de son parcours.
Il naît en 1977 dans un petit village de campagne offrant une vue imprenable sur le mont Jiri près de Jinju dans la province de Gyeongsang du sud. Il est le cadet d’une fratrie de six enfants, quatre filles et deux garçons. Sa famille est très modeste. Lorsqu’il a neuf ans sa famille est contrainte de déménager dans la ville de Changwon, car le village se trouve dans une zone destinée à être inondée pour la construction d’un barrage. Ce plongeon dans la vie urbaine le fait souffrir ainsi que sa mère. Pour la première fois, il se sent différent de ses camarades : il n’est pas blanc de peau, il parle avec un fort accent le dialecte de son village natal et porte des vêtements démodés. Pour cet enfant de neuf ans, la ville est une malédiction et tout ce qui lui arrive, ainsi qu’à sa famille, vient de leur installation à Changwon. Sa mère, heureuse à la campagne à cultiver ses champs, se retrouve à présent contrainte à faire des ménages chez des particuliers. Son père est « heureusement » (rires) souvent loin de la maison. C’est un homme violent et quelque peu porté sur la boisson qui offre ses services sur des chantiers de la région.
Il relate d’ailleurs sa jeunesse dans l’ouvrage « l’Indigène de Corée du Sud » (éditions 100 degrés). Son premier contact avec la BD date de son enfance. Lorsqu’il a sept ans, des cartons de manhwa arrivent dans les villages, envoyés par des enfants des villes sous forme de dons. Il s’agit souvent de séries malheureusement la plupart du temps incomplètes. Il ne sait alors pas encore lire, mais se souvient très bien des dessins qui le marquent, comme un ouvrage de science-fiction. À l’école primaire, il découvre également le dessin par le biais d’un camarade plus âgé. Il fait alors très rapidement parti de ceux qui se distinguent par leur habilité à manier le crayon et intègre plus tard le club de bande dessinée du lycée. Le lycée est d’ailleurs le lieu où se déroule l’action de son ouvrage “Ambigu à en pleurer » (Ulgien jom aemaehan) paru chez l’éditeur Sakyejul en 2010. C’est l’histoire d’un garçon issue d’une famille très pauvre qui prépare et réussit son entrée à l’université en section bande dessinée, mais se trouve contraint de redoubler, car ses parents n’ont pas les moyens d’honorer les frais d’inscription. Dans ce tableau, un autre élève qui possède également un talent artistique certain se fait subtiliser son dossier par le professeur de dessin qui confie celui-ci à un autre élève médiocre, mais issu d’une famille riche afin qu’il puisse intégrer l’université. Les deux personnages principaux sont des victimes de leur condition sociale, une condition dont le poids est écrasant dans un pays où les apparences font loi et le système éducatif même est parfois corrompu.
Très engagé à gauche, il publie en novembre 2011 chez Sakyejul « L’Histoire qui n’existe plus » (Jigeumeun eopneun iyagi), une série de contes illustrés. L’époque n’y est pas précisée, les personnages mis en scène sont exclusivement des animaux. Il a le désir de mener à bien ce projet lorsqu’il constate avec une certaine indignation que nombre de politiciens de la droite coréenne utilisent les contes traditionnels et les métaphores animales à leur compte à des fins politiques. Il souhaite en tant que citoyen se réapproprier cette « tradition », que nous retrouvons également chez nous dans les célèbres Fables de la Fontaine qui sont une critique de la société. Il s’intéresse à la structure sociale, sa dynamique, la notion de responsabilité en période de crise. Il a très prochainement le projet de transformer ces contes en manhwa. Il est temps pour nous de le quitter.
Le voilà qui vient à notre rencontre, les cheveux courts légèrement ondulés et encore mouillés par la douche dont il vient sans doute tout juste de sortir. Il est très grand, mince et plutôt bel homme. Son visage est assez fermé, il n’esquisse que rarement un sourire. Il semble toujours à l’affût, le regard vif, perçant, comme jaugeant sans cesse le monde qui l’entoure. La voix est assez haute. Nous commandons de quoi manger, puis, nous nous dirigeons sur la terrasse afin de fumer. Nous sommes seul, il ne dit rien, j’écourte la pause cigarette. Le silence me semble trop pesant. Le repas finit par délier les langues. Nous engageons l’entretien.
Si Choi Kyu-sok est une « vedette » ici en Corée, il est loin d’être un inconnu en France. Lorsqu’il sort en 2003 diplômé de l’université, les éditions papier sont en crise et la révolution du format web n’est pas encore en marche. Après un an de « disette professionnelle » il retourne dans sa région natale. Il y enseigne le manhwa auprès de lycéens qui se destinent à intégrer l’université en section bande dessinée. Cette année lui offre l’opportunité de réaliser « Nouilles Tchajang » qui paraît la même année aux éditions Happy Comic Works. En 2005, deux ans plus tard, on le découvre dans les pays francophones. Les éditions Kana (éditeur belge) publient une traduction de cet ouvrage. Ce récit est adapté d’un roman coréen de Ahn Do-hyun. Réalisé conjointement avec Byun Ki-hyun, il relate l’histoire d’un lycéen qui choisit de quitter l’école et se fait embaucher dans un restaurant en tant que commis. Le jeune homme va faire connaissance des personnages qui mettent un peu de couleurs dans le quartier : le cuisinier, ancien militaire, le coiffeur, bavard intarissable… Il connaîtra également ses premiers émois. Cette période, si elle représente pour le jeune personnage une découverte du monde extérieur, lui permet également d’entreprendre un travail introspectif sur la dynamique en jeu dans la cellule familiale qu’il a choisi de quitter.
Choi Kyu-sok, conjointement à son travail d’enseignant, renoue avec le manhwa par le biais du magazine hebdomadaire généraliste « Gyeonghyang » qui lui commande quatre pages de bande dessinée par semaine. Ainsi naissent cinquante-quatre nouvelles que publie Casterman en France en 2006 sous le titre « Le Marécage ». Casterman publie également son recueil de nouvelles « L’Amour est une protéine ». Il réalise cet ouvrage alors qu’il est encore étudiant. Les six nouvelles qu’il contient ont toutes un style graphique très différent qui témoignent de ses capacités de dessinateur. De cet ensemble hétéroclite se dégage un tableau sombre de la société où la manipulation, la cruauté et l’ignorance font la force de ceux qui en usent.
Poser un regard sur l’animal social est sa préoccupation depuis ses débuts. Il travaille actuellement à la réalisation d’un webtoon, « le Poinçon ». C’est l’histoire d’un homme employé par une grande chaîne de supermarché qui prend le parti de se battre et décide de créer un syndicat. On navigue ici dans les eaux de la métaphore sociale où l’entreprise est structurée comme l’est la société, avec les nantis, les différences de traitement des individus, toutes les inégalités qui subsistent dans le monde extérieur, une fois quitté le lieu de travail. Il dit attacher une importance particulière à la qualité du scénario, mais le fait de réaliser un projet sur le Web plutôt que sur support papier n’a pas vraiment d’influence sur sa façon de travailler. Ce qui doit cependant l’influencer dans ses choix vient probablement de son parcours.
Il naît en 1977 dans un petit village de campagne offrant une vue imprenable sur le mont Jiri près de Jinju dans la province de Gyeongsang du sud. Il est le cadet d’une fratrie de six enfants, quatre filles et deux garçons. Sa famille est très modeste. Lorsqu’il a neuf ans sa famille est contrainte de déménager dans la ville de Changwon, car le village se trouve dans une zone destinée à être inondée pour la construction d’un barrage. Ce plongeon dans la vie urbaine le fait souffrir ainsi que sa mère. Pour la première fois, il se sent différent de ses camarades : il n’est pas blanc de peau, il parle avec un fort accent le dialecte de son village natal et porte des vêtements démodés. Pour cet enfant de neuf ans, la ville est une malédiction et tout ce qui lui arrive, ainsi qu’à sa famille, vient de leur installation à Changwon. Sa mère, heureuse à la campagne à cultiver ses champs, se retrouve à présent contrainte à faire des ménages chez des particuliers. Son père est « heureusement » (rires) souvent loin de la maison. C’est un homme violent et quelque peu porté sur la boisson qui offre ses services sur des chantiers de la région.
Il relate d’ailleurs sa jeunesse dans l’ouvrage « l’Indigène de Corée du Sud » (éditions 100 degrés). Son premier contact avec la BD date de son enfance. Lorsqu’il a sept ans, des cartons de manhwa arrivent dans les villages, envoyés par des enfants des villes sous forme de dons. Il s’agit souvent de séries malheureusement la plupart du temps incomplètes. Il ne sait alors pas encore lire, mais se souvient très bien des dessins qui le marquent, comme un ouvrage de science-fiction. À l’école primaire, il découvre également le dessin par le biais d’un camarade plus âgé. Il fait alors très rapidement parti de ceux qui se distinguent par leur habilité à manier le crayon et intègre plus tard le club de bande dessinée du lycée. Le lycée est d’ailleurs le lieu où se déroule l’action de son ouvrage “Ambigu à en pleurer » (Ulgien jom aemaehan) paru chez l’éditeur Sakyejul en 2010. C’est l’histoire d’un garçon issue d’une famille très pauvre qui prépare et réussit son entrée à l’université en section bande dessinée, mais se trouve contraint de redoubler, car ses parents n’ont pas les moyens d’honorer les frais d’inscription. Dans ce tableau, un autre élève qui possède également un talent artistique certain se fait subtiliser son dossier par le professeur de dessin qui confie celui-ci à un autre élève médiocre, mais issu d’une famille riche afin qu’il puisse intégrer l’université. Les deux personnages principaux sont des victimes de leur condition sociale, une condition dont le poids est écrasant dans un pays où les apparences font loi et le système éducatif même est parfois corrompu.
Très engagé à gauche, il publie en novembre 2011 chez Sakyejul « L’Histoire qui n’existe plus » (Jigeumeun eopneun iyagi), une série de contes illustrés. L’époque n’y est pas précisée, les personnages mis en scène sont exclusivement des animaux. Il a le désir de mener à bien ce projet lorsqu’il constate avec une certaine indignation que nombre de politiciens de la droite coréenne utilisent les contes traditionnels et les métaphores animales à leur compte à des fins politiques. Il souhaite en tant que citoyen se réapproprier cette « tradition », que nous retrouvons également chez nous dans les célèbres Fables de la Fontaine qui sont une critique de la société. Il s’intéresse à la structure sociale, sa dynamique, la notion de responsabilité en période de crise. Il a très prochainement le projet de transformer ces contes en manhwa. Il est temps pour nous de le quitter.
Questionnaire de Proust
Si je n’avais pas été dessinateur : j’aurais été professeur de littérature coréenne.
Ma plus grande qualité : je suis toujours d’humeur égale.
Mon plus grand défaut : je ne me mets jamais en colère.
La qualité que j’apprécie chez les autres : les personnes énergiques, qui entreprennent beaucoup de choses à la fois.
Activités préférées : lorsque je travaille, lire et aller au cinéma. Lorsque je suis en congés, j’aime rencontrer des amis et boire. Car je suis souvent seul lorsque je travaille.
Si j’étais un animal : je serais un paresseux (rires).
Bibliographie
Corée (collectif), Casterman, 2006, Collection Écritures
Le Marécage, Casterman, 2006, Collection Hanguk
L'Amour est une protéine, Casterman, 2006, Collection Hanguk
Nouilles Tchajang (avec Byun Ki-Hyun), Kana, 2005, Collection Made-in
Sa nouvelle bande dessinée en ligne est consultable à l’adresse suivante :
http://comic.naver.com/webtoon/list.nhn?titleId=602922
Copyrights Choi Kyu-sok et Casterman pour les versions françaises.