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Choi Kyu-sok : les raisons de la colère

1/12/2014

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En ce jour du 4 juillet, le soleil est à son zénith sur Bucheon, ville situé au sud-ouest de Séoul et qui vit au rythme de la bande dessinée. Chaque année y a lieu le festival de bande dessinée. Un complexe de bâtiments abrite des ateliers de dessinateur, et sur un autre site se trouve le musée du manhwa. Il est 13 heures et nous avons rendez-vous avec Choi Kyu-sok, jeune auteur de 37 ans qui jouit d’une grande notoriété. Nous nous rendons devant la porte de son atelier, nous toquons.... Personne. Un bref appel téléphonique nous indique qu’il est sur le point d’arriver. C’est vrai qu’il est tôt. Nous bousculons quelque peu les habitudes de cet « oiseau de nuit ». En effet, voici à quoi ressemble sa journée type. Il se lève à 14h. Il mange. Joue avec son enfant. Marié en 2010, il est père d’un petit garçon de 18 mois. Vers 16h, il se rend dans son atelier pour y travailler jusqu’à 5 heures du matin. Le travail terminé, il rentre se coucher. Il aime travailler la nuit, il se concentre mieux. En général, lorsqu’il dessine, il reste dans son atelier, car il a besoin de son ordinateur. Mais quand il écrit, il lui arrive d’aller tout simplement dans des cafés.

Le voilà qui vient à notre rencontre, les cheveux courts légèrement ondulés et encore mouillés par la douche dont il vient sans doute tout juste de sortir. Il est très grand, mince et plutôt bel homme. Son visage est assez fermé, il n’esquisse que rarement un sourire. Il semble toujours à l’affût, le regard vif, perçant, comme jaugeant sans cesse le monde qui l’entoure. La voix est assez haute. Nous commandons de quoi manger, puis, nous nous dirigeons sur la terrasse afin de fumer. Nous sommes seul, il ne dit rien, j’écourte la pause cigarette. Le silence me semble trop pesant. Le repas finit par délier les langues. Nous engageons l’entretien.  

Si Choi Kyu-sok est une « vedette » ici en Corée, il est loin d’être un inconnu en France. Lorsqu’il sort en 2003 diplômé de l’université, les éditions papier sont en crise et la révolution du format web n’est pas encore en marche. Après un an de « disette professionnelle » il retourne dans sa région natale. Il y enseigne le manhwa auprès de lycéens qui se destinent à intégrer l’université en section bande dessinée. Cette année lui offre l’opportunité de réaliser « Nouilles Tchajang » qui paraît la même année aux éditions Happy Comic Works. En 2005, deux ans plus tard, on le découvre dans les pays francophones. Les éditions Kana (éditeur belge) publient une traduction de cet ouvrage. Ce récit est adapté d’un roman coréen de Ahn Do-hyun. Réalisé conjointement avec Byun Ki-hyun, il relate l’histoire d’un lycéen qui choisit de quitter l’école et se fait embaucher dans un restaurant en tant que commis. Le jeune homme va faire connaissance des personnages qui mettent un peu de couleurs dans le quartier : le cuisinier, ancien militaire, le coiffeur, bavard intarissable… Il connaîtra également ses premiers émois. Cette période, si elle représente pour le jeune personnage une découverte du monde extérieur, lui permet également d’entreprendre un travail introspectif sur la dynamique en jeu dans la cellule familiale qu’il a choisi de quitter.

Choi Kyu-sok, conjointement à son travail d’enseignant, renoue avec le manhwa par le biais du magazine hebdomadaire généraliste « Gyeonghyang » qui lui commande quatre pages de bande dessinée par semaine. Ainsi naissent cinquante-quatre nouvelles que publie Casterman en France en 2006 sous le titre « Le Marécage ». Casterman publie également son recueil de nouvelles « L’Amour est une protéine ». Il réalise cet ouvrage alors qu’il est encore étudiant. Les six nouvelles qu’il contient ont toutes un style graphique très différent qui témoignent de ses capacités de dessinateur. De cet ensemble hétéroclite se dégage un tableau sombre de la société où la manipulation, la cruauté et l’ignorance font la force de ceux qui en usent.

Poser un regard sur l’animal social est sa préoccupation depuis ses débuts. Il travaille actuellement à la réalisation d’un webtoon, « le Poinçon ». C’est l’histoire d’un homme employé par une grande chaîne de supermarché qui prend le parti de se battre et décide de créer un syndicat. On navigue ici dans les eaux de la métaphore sociale où l’entreprise est structurée comme l’est la société, avec les nantis, les différences de traitement des individus, toutes les inégalités qui subsistent dans le monde extérieur, une fois quitté le lieu de travail. Il dit attacher une importance particulière à la qualité du scénario, mais le fait de réaliser un projet sur le Web plutôt que sur support papier n’a pas vraiment d’influence sur sa façon de travailler. Ce qui doit cependant l’influencer dans ses choix vient probablement de son parcours.

Il naît en 1977 dans un petit village de campagne offrant une vue imprenable sur le mont Jiri près de Jinju dans la province de Gyeongsang du sud. Il est le cadet d’une fratrie de six enfants, quatre filles et deux garçons. Sa famille est très modeste. Lorsqu’il a neuf ans sa famille est contrainte de déménager dans la ville de Changwon, car le village se trouve dans une zone destinée à être inondée pour la construction d’un barrage. Ce plongeon dans la vie urbaine le fait souffrir ainsi que sa mère. Pour la première fois, il se sent différent de ses camarades : il n’est pas blanc de peau, il parle avec un fort accent le dialecte de son village natal et porte des vêtements démodés. Pour cet enfant de neuf ans, la ville est une malédiction et tout ce qui lui arrive, ainsi qu’à sa famille, vient de leur installation à Changwon. Sa mère, heureuse à la campagne à cultiver ses champs, se retrouve à présent contrainte à faire des ménages chez des particuliers. Son père est « heureusement »  (rires) souvent loin de la maison. C’est un homme violent et quelque peu porté sur la boisson qui offre ses services sur des chantiers de la région.

Il relate d’ailleurs sa jeunesse dans l’ouvrage « l’Indigène de Corée du Sud » (éditions 100 degrés). Son premier contact avec la BD date de son enfance. Lorsqu’il a sept ans, des cartons de manhwa arrivent dans les villages, envoyés par des enfants des villes sous forme de dons. Il s’agit souvent de séries malheureusement la plupart du temps incomplètes. Il ne sait alors pas encore lire, mais se souvient très bien des dessins qui le marquent, comme un ouvrage de science-fiction. À l’école primaire, il découvre également le dessin par le biais d’un camarade plus âgé. Il fait alors très rapidement parti de ceux qui se distinguent par leur habilité à manier le crayon et intègre plus tard le club de bande dessinée du lycée. Le lycée est d’ailleurs le lieu où se déroule l’action de son ouvrage  “Ambigu à en pleurer » (Ulgien jom aemaehan) paru chez l’éditeur Sakyejul en 2010. C’est l’histoire d’un garçon issue d’une famille très pauvre qui prépare et réussit son entrée à l’université en section bande dessinée, mais se trouve contraint de redoubler, car ses parents n’ont pas les moyens d’honorer les frais d’inscription. Dans ce tableau, un autre élève qui possède également un talent artistique certain se fait subtiliser son dossier par le professeur de dessin qui confie celui-ci à un autre élève médiocre, mais issu d’une famille riche afin qu’il puisse intégrer l’université. Les deux personnages principaux sont des victimes de leur condition sociale, une condition dont le poids est écrasant dans un pays où les apparences font loi et le système éducatif même est parfois corrompu. 

Très engagé à gauche, il publie en novembre 2011 chez Sakyejul « L’Histoire qui n’existe plus » (Jigeumeun eopneun iyagi), une série de contes illustrés. L’époque n’y est pas précisée, les personnages mis en scène sont exclusivement des animaux. Il a le désir de mener à bien ce projet lorsqu’il constate avec une certaine indignation que nombre de politiciens de la droite coréenne utilisent les contes traditionnels et les métaphores animales à leur compte à des fins politiques. Il souhaite en tant que citoyen se réapproprier cette « tradition », que nous retrouvons également chez nous dans les célèbres Fables de la Fontaine qui sont une critique de la société. Il s’intéresse à la structure sociale, sa dynamique, la notion de responsabilité en période de crise. Il a très prochainement le projet de transformer ces contes en manhwa. Il est temps pour nous de le quitter.


Questionnaire de Proust
Si je n’avais pas été dessinateur : j’aurais été professeur de littérature coréenne.
Ma plus grande qualité : je suis toujours d’humeur égale.
Mon plus grand défaut : je ne me mets jamais en colère.
La qualité que j’apprécie chez les autres : les personnes énergiques, qui entreprennent beaucoup de choses à la fois.
Activités préférées : lorsque je travaille, lire et aller au cinéma. Lorsque je suis en congés, j’aime rencontrer des amis et boire. Car je suis souvent seul lorsque je travaille.
Si j’étais un animal : je serais un paresseux (rires).

Bibliographie
Corée (collectif), Casterman, 2006, Collection Écritures
Le Marécage, Casterman, 2006, Collection Hanguk
L'Amour est une protéine, Casterman, 2006, Collection Hanguk
Nouilles Tchajang (avec  Byun Ki-Hyun), Kana, 2005, Collection Made-in

Sa nouvelle bande dessinée en ligne est consultable à l’adresse suivante :
http://comic.naver.com/webtoon/list.nhn?titleId=602922


Copyrights Choi Kyu-sok et Casterman pour les versions françaises.
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Lee Hee Jae : au carrefour prendre à gauche

15/9/2014

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En ce début d’après-midi du jeudi 12 décembre, les premiers flocons tombent sur Séoul. Alors que les heures passent, la couche de neige s’épaissit, faisant le bonheur des enfants. Ceux-ci quittent l’école pour se rendre à la maison ou bien, dans la grande majorité des cas, s’en vont rejoindre les instituts d’anglais ou de mathématiques, s’essayant en chemin aux premières glissades et aux batailles de boules de neige. Ce sont les seuls, innocents qu’ils sont encore, à apprécier à sa juste valeur cette blancheur qui drape la ville. Les voitures roulent aux pas, et sur la colline du haut de laquelle je dois prendre le bus, un usager m’informe que le trafic est interrompu. Je vais sans doute être en retard pour le rendez-vous qui est pris avec Lee Hee Jae. Je peste. Le fait qu’il accepte cette rencontre tient déjà presque du miracle, son emploi du temps étant particulièrement serré. Il doit jongler entre ses activités de dessinateur et sa fonction de président du Komacon*. Je suis bon pour 40 minutes de marche jusqu’à la station de métro située au bas de la colline.  À Séoul comme en France, tout s’arrête dès les premiers flocons comme si cela était une surprise qu’il neige en hiver.

Après plus d’une heure de trajet j’arrive enfin à la station Suraksan, lieu du rendez-vous. C’est ici, en bout de ligne, dans le nord-est de Séoul que Lee Hee Jae a son atelier. Nous arrivons au même moment. Il semble fatigué, il nous fait monter dans un immeuble moderne abritant des studios spacieux comprenant une mezzanine. Le bureau et les rayonnages de la bibliothèque occupent toute la pièce du bas. Il s’assied et commence par boire le yuja cha** que nous lui avons apporté. Lunettes visées sur le nez, cheveux grisonnants, éternelle raie sur le côté qui lui donne un air de « premier de la classe » à bientôt 63 ans. Sa voix assez ferme et grave jure quelque peu avec son physique. Il est de petite taille, assez menu, il a été préservé de l’embonpoint si propre aux hommes de son âge. Notre impression se confirme, il est quelque peu souffrant et fatigué. Il revient tout juste d’un voyage en Algérie (au  Festival international de bande dessinée d’Alger) avec une délégation coréenne, on peut d’ailleurs apercevoir derrière lui un petit bibelot, une lampe à huile en laiton, ainsi qu’une paire de babouches, rapportés sans doute de son voyage.

Son travail de président du Komacon lui prend beaucoup de son temps. Alors qu’il souhaite se concentrer sur un projet plus personnel - il vient d’achever une série intitulée « 5000 ans d’histoire coréenne » (22 volumes) - on lui propose de travailler sur l’adaptation en bande dessinée d’une œuvre littéraire monumentale. Il accepte, car il peut y retrouver ses thèmes de prédilection : la politique sur fond social. « Arirang » de Jo Jong-nae est une œuvre romancée qui comprend 12 tomes***. Cette saga met en scène l’histoire du peuple coréen de 1900 à nos jours. Il prévoit de travailler durant trois ans sur ce projet et pense que la version dessinée comprendra quinze tomes. Depuis la naissance de cette vaste entreprise, des liens de plus en plus forts se tissent entre les deux auteurs. Notamment parce qu’ils partagent une origine commune, ils sont tous les deux nés dans le Jeolla-do****. Ils communiquent souvent par téléphone. Dans ces romans, le dialecte employé dans le sud tient une place importante et Lee Hee Jae s’interroge sur la manière dont il doit mener cette adaptation en BD sans que les romans perdent en saveur. Il considère que l’écriture, la narration et les tableaux présents dans ces ouvrages sont d’une grande qualité. Il a le souci de ne pas trahir l’œuvre.

Pour s’imprégner de l’histoire, il s’enregistre lisant le texte. Une méthode qu’emploie également Lee Do-Hoo. Lors de l’élaboration du Bandit généreux (35 tomes), il fait lire à ses enfants le texte contre de l’argent de poche, puis sur le chemin de l’atelier, il écoute l’enregistrement. 

C’est une manière pour Lee Hee Jae de s’approprier l’histoire, de la vivre de façon plus intense. Un travail de cinéma intérieur. Le son lui évoque des images. Les dessins seront en partie réalisés sur du papier de riz traditionnel, un support qui convient à l’atmosphère qu’il souhaite apporter aux dessins.

Lorsqu’on l’interroge sur l’origine de son amour pour la bande dessinée, plutôt qu’un long discours, il nous fait découvrir un récit qui retrace sa première rencontre avec le 9ème art : une BD en très grand format qui avait fait l’objet d’une exposition qu’on lui a consacré lors du festival de BD de Bucheon en 2009. 
Monsieur Lee naît en 1952 sur une île située à l’extrême sud de la Corée. Ses parents ont trois garçons et deux filles. Il est l’aîné. Durant son enfance, il aide ses parents en gardant les vaches, ceux-ci font sécher les algues dont la consommation est courante. Ce n’est qu’à 9 ans qu’il met pour la première fois le pied sur le continent. Il y achète sa première BD, une adaptation de l’Illiade et de l’Odyssée qu’il lit le plus lentement possible afin de faire durer le plaisir sur le bateau qui le reconduit chez lui. À partir de ce moment-là, sa vie d’enfant est peuplée de super-héros qu’il s’imagine côtoyer et fait évoluer au gré de son imagination, de ses rêveries.  Il va au collège à Gwangju, il loge alors chez son oncle qui habite à vingt minutes de l’école. Il s’y rend à pied tous les jours. C’est un garçon très sérieux et travailleur, pas turbulent pour un sou. Son cousin profite d’une permission pour rejoindre le domicile familial et fait découvrir à Lee Hee Jae un manhwabang du quartier. Lui qui prend d’habitude à droite au carrefour pour se rendre au collège empruntera désormais quotidiennement le chemin de gauche pour passer l’essentiel de son temps libre dans le manhwabang à consulter sur place des BD. Durant l’école primaire, alors qu’il vit sur son île natale, il ne lit qu’une vingtaine de BD en six ans. Il rattrape le  temps perdu et « dévore », notamment des mensuels regroupant des épisodes de ses héros préférés. Alors qu’il est collégien, à tout juste 14 ans, il participe à un concours consistant à dessiner un héros mis en scène. Son dessin est sélectionné, il est publié dans le magazine. Il devient la vedette du collège. Après les années de lycée, il « vivote » en travaillant ça et là et exerçant différents postes sans rapport avec le dessin.

À 20 ans, il monte à Séoul avec ses parents et devient assistant d’un dessinateur très en vogue durant les années 1960, Kim Jon-rae. Il prépare l’encre qui servira au dessinateur, à l’époque il n’existe pas de flacons d’encre de Chine. Il faut frotter un bâton de suie sur une pierre sur laquelle on verse de l’eau. Un travail pénible et répétitif. Il gomme les traces de crayonnage, nettoie l’atelier. Puis plus tard il est autorisé à réaliser l’encrage des arrière-plans, puis enfin celui des personnages. Et par la suite le crayonnage, et l’aide au scénario. Après un an, il quitte l’atelier. Il prend conscience que pour faire de la BD, il ne suffit pas de savoir dessiner, mais il faut également avoir vécu des expériences. 

Sa vie devient difficile ; il travaille sur des commandes dans le domaine de l’animation, de l’illustration. Puis intègre un temps une maison d’édition dans laquelle il occupe le poste de développeur et designer. Il y réalise le crayonnage pour certain grands auteur comme Lee Hyeon-se sur le titre « L’Arche », premier ouvrage coréen exporté au Japon. À 22 ans, ses premières planches sont pré-éditées dans des magazines mensuels populaires tels que « Bubu », « Arirang ». Ce sont alors des publications qui ne sont pas spécifiquement dédiées à la BD.

Son premier livre « Grain de sable » sort en 1976, après bien des péripéties. À l’époque, les éditions ne publient pas les œuvres des « assistants dessinateurs » sans l’aval des auteurs qui les prennent sous leur coupe. Éditer un assistant signifie que celui-ci bénéficiera par la suite d’un statut d’auteur et prendra son envol, donc à charge pour l’auteur déjà établi qui l’emploie de trouver d’autres « petites mains ». Après ce premier « obstacle » franchi, l’éditeur à qui il présente le projet lui propose un nom d’auteur. Un nom dont la sonorité est très proche d’un dessinateur déjà en vogue, le but étant de pousser les lecteurs à acquérir l’ouvrage en jouant sur la confusion possible entre ces deux noms. Il refuse catégoriquement. 

Sur ces ouvrages publiés dans les années 1970, il ne souhaite pas s’étendre. Il ne les considère pas comme représentatifs de la direction qu’il prend depuis les années 1980. Selon lui le manhwa ne doit pas s’éloigner des préoccupations quotidiennes. Une réflexion qui vient après un constat : durant les années de dictature, la production de BD met presque exclusivement en scène des héros évoluant dans des mondes « imaginaires ». Il n’adhère pas à cette forme de narration et le prouve en sortant un titre qui lui permet de se bâtir une solide réputation d’auteur de BD réaliste. En 1989 sort Vedette, un recueil de sept nouvelles écrites entre 1986 et 1987. Cet ouvrage est disponible en France dans la collection Hanguk proposée par Casterman. Ces nouvelles mettent en scène des gens du peuple et retracent les préoccupations politiques et sociales de l’époque. La sortie du livre correspond à une période de changement de régime politique. Le général Chun Doo-hwan, chef du régime en place et responsable d’un climat de répression, est alors contraint par le peuple d’organiser des élections. C’est une période qui correspond à la poursuite du « miracle économique » que va connaître la Corée. Certaines nouvelles restent encore criantes de vérités et n’ont malheureusement pas pris une ride. Citons celle, par exemple, mettant en scène un homme se levant à l’aube et tirant derrière lui à la seule force de ses bras une charrette qu’il remplit au fur et à mesure que les heures passent de divers détritus dont il pourra tirer un faible bénéfice destiné à faire survivre sa famille. Et oui ! Le convoi exceptionnel du miracle économique coréen en a laissé certains sur le bord de la route... 

Les personnages qu’il dessine sont massifs, comme taillés au couteau, d’aspect rustique, mais d’une grande sensibilité. C’est un trait qui peut paraître maladroit, mais qui est d’une grande maîtrise. Lee Hee Jae est un raconteur d’histoire qui sait nous émouvoir.    

Un autre livre important confirmant s’il le faut ses talents : le « Chagrin dans le ciel » qui paraît en 1990 chez Seoul cultural. Ce livre est l’adaptation du journal intime de Lee Yun-bok un garçon de 11 ans évoluant dans la Corée de l’après-guerre. Le héros, aîné de la famille, tente de concilier ses études et la survie de sa famille en vendant des gommes à mâcher dans les rues de la ville. Son histoire qu’il consigne jour après jour le rendra célèbre. Lee Hee Jae s’essaye ici à la couleur dans ce récit traitant de l’abandon (celui d’une mère qui quitte ses enfants), de la condition sociale, de la répression policière qui menace l’enfant, le tout teinté de l’humanité qu’apportent des adultes qui sauront tendre la main à cet enfant trop tôt confronté à des problématiques d’homme.

Pour ceux qui sont intéressés par cet auteur, FLBLB (un éditeur alternatif français) prépare un livre regroupant un ensemble de nouvelles dans la même veine que « Vedette ».
Notes : 
* le KOMACON (Korean Manhwa Contents Agency) est un organisme d’état qui s’occupe de promouvoir la bande dessinée coréenne en Corée du Sud et à travers le monde. Ils disposent également d’un comité d’experts composé d’auteurs de manhwa.
** le yuja cha est une infusion faite à base d’agrumes confits (yuzu, ou yuja en coréen) qui sont cultivées sur l’île de Jeju. C’est un peu comme si vous mélangiez de la marmelade avec de l’eau chaude. Le goût est exquis, on en consomme souvent durant l’hiver.
*** Aussi orthographié Jo (ou Cho) Jong-nae. « Arirang » est publié en plusieurs volumes chez L’Harmattan.
**** le Jeolla-do est une province du sud de la Corée du Sud.

Il est temps maintenant de quitter monsieur Lee sur notre désormais traditionnel questionnaire de Proust :
Si j’étais un animal : une vache, car je suis comme elle. Je ne suis pas rusé et je suis franc, honnête.
Ce que j’aime chez les autres : l’honnêteté.
Défaut : Je chante très mal (rires).
Mon activité préférée : rêvasser, observer...
Si je n’avais pas été dessinateur : professeur d’histoire ou de littérature coréenne.
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